Mr. Robot, prophète-hacker

Colas Zibaut
5 min readMay 21, 2017
Mr Robot © USA Network Inc.

France 2 diffuse dès ce soir l’audacieux “Mr Robot”. Voici cinq bonnes raisons (au moins) d’adopter la série événement, primée ce week-end aux Emmy Awards.

Mr. Robot, en lice pour les 68e Emmy Awards, vient de remporter le prix du meilleur acteur dramatique, tandis que la série a déjà gagné deux trophées aux Golden Globes 2016 dans la catégorie “meilleure série télévisée dramatique”. Voici donc cinq bonnes raisons d’adopter Mr Robot.

Pour son regard politique radical

Peu de séries ou de films prennent des positions aussi tranchées sur le système politique en vigueur. Si bien que le diffuseur américain de Mr Robot prévient, en ouverture : “Les opinions véhiculées dans la série sont celles de l’auteur et en aucun cas celles de USA Network.” Et pour cause, Mr. Robot dépeint un monde dystopique, où une défaillance informatique (bien exploitée par le héros de la série, Elliot) provoque la destruction de la quasi-totalité des avoirs financiers de la planète. S’ensuit un désordre durable, fait de chutes des gouvernements, de tentatives de sauvetages financiers par les organismes bancaires et de faillites de conglomérats jusque-là jugés tout-puissants.

Mr. Robot poursuit en quelque sorte les ambitions de cette communauté hacker ayant connu un frémissement lors du mouvement Occupy Wall Street et invente les symboles d’une radicalité hacker, à mi-chemin entre les coups d’éclat des Anonymous et les révélations tonitruantes de Wikileaks.

Le monde va mal et les symboles de l’anticapitalisme sont nombreux, comme dans cette scène fulgurante où l’un des dirigeants de la plus grande (et maléfique) entreprise mondiale, E Corp, brûle 5 millions de dollars en liquide devant un Times Square composé de passants médusés, qui retransmettent la scène à des millions d’internautes via Facebook Live.

Pour son rendu visuel impressionnant

Ce qui frappe dès les premières minutes de Mr. Robot, c’est la qualité de la cinématographie. En particulier la solution proposée à cette équation apparemment insoluble : comment filmer (et rendre beaux) des individus interagissant avec des ordinateurs ?

Ici, les écrans sont savamment filmés, les champs/contre-champs entre l’ordinateur et le personnage sont constants, comme pour signifier cette dualité permanente entre le corps physique du héros et son pendant numérique.

La gestion des couleurs est élégante, tout en nuances de gris, dans ce New York inquiétant, éclairé seulement par les néons des restaurants asiatiques et les smartphones d’une population stupéfaite par l’enchaînement des événements.

Pour sa précision technique sur le hacking

Les séries TV modernes font souvent la part belle au hacking, enjeu central de sécurité. Mais là où par exemple un 24 Heures Chrono utilise un jargon technique pour rendre vraisemblables ces opérations hautement compliquées, Mr Robot surpasse ses concurrents dans la précision des explications sur les techniques de hacking, ce qui ravira tous les connaisseurs d’informatique, sans dérouter les néophytes, qui pourront se contenter d’y croire.

L’effet de réel n’en est que plus fort et vient en complément d’un récit ancré dans un monde familier : Barack Obama commente en direct les agissements des hackers, Trump s’en saisit comme thème de campagne, les vidéos des pirates sont uploadées sur Vimeo. Nous sommes finalement plongés dans une version crackée du monde.

Pour son rythme à très haut débit et son écriture kaléidoscopique

Imaginez un profil Facebook qui, à chaque rafraîchissement, réorganise la timeline, change les photos, fait disparaître des amis ou des membres de la famille. C’est ce que nous fait vivre le scénariste de la série, Sam Esmail. L’histoire d’Elliot est complexe et à mesure que l’intrigue avance, les pistes sur l’histoire personnelle du héros se brouillent ou se clarifient, gardant le spectateur en haleine.

Comme dans l’excellent Les Infiltrés de Martin Scorsese, la plupart des personnages jouent double-jeu, ce qui donne lieu à des dialogues de haute volée, où se croisent les thèmes du bien et du mal, du rapport à la drogue, de la soif de pouvoir, du rôle divin de l’ordinateur. Mais le dialogue s’instaure aussi régulièrement en voix off entre le héros et lui-même sans qu’on sache très bien à qui il s’adresse : peut-être à un autre, peut-être à nous-mêmes spectateurs. Toujours est-il qu’Elliot est pareil à un iPhone trouvé dans la rue et protégé par un mot de passe : indéchiffrable, verrouillé, hermétique à toute interprétation, mais néanmoins fascinant.

Mr Robot © USA Network Inc.

Pour ses références cinématographiques

Mr. Robot puise abondamment dans le sous-genre du cyberpunk, et les références à Matrix et à FightClub sont nombreuses. Les films de Scorsese sont aussi régulièrement convoqués, en particulier dans les ressorts dramatiques de l’action.

Il y a également du Dexter dans cette série, faisant un usage similaire de la voix off pour dévoiler les intentions du personnage principal.

Nombreux sont les personnages qui présentent des similarités avec des hommes bien réels et astringents, et vous vous plairez à déterminer qui est l’incarnation dans la série d’Edward Snowden, de Julian Assange, d’Aaron Swartz, d’Eric Schmitt(le PDG de Google) ou de Vint Cerf (l’un des pères fondateurs d’Internet).

Seules ombres qui viennent ternir ce tableau exaltant, certains ressorts de la narration deviennent attendus à mesure que la série en fait un usage trop important (notamment la séquence conversation à couteaux tirés entre deux adversaires, conclusion de l’échange, départ de l’un des protagonistes, dernière phrase assassine avant de refermer la porte et de sortir hors champs, et inversion soudaine du rapport de force), et une certaine lenteur dans l’enchaînement des péripéties. Sam Esmail met l’accent sur la peinture psychologique des personnages, et oublie parfois de faire avancer le récit, laissant le spectateur face à un sablier qui s’écoule sans fin.

Mr. Robota donc tout pour devenir la sensation de cette rentrée audiovisuelle. Les dix épisodes de la première saison seront vos meilleurs compagnons des nuits où l’automne s’installe et avec eux, cette question : l’homme numérique est-il davantage qu’une somme de 0 et de 1?

Mr Robot, sur France 2 à 22h40.

--

--